Ouest Immobilier Neuf
“Le lotissement récompensé, qui compte 166 logements, est révélateur de l’évolution de notre métier d’aménageur " dites-vous. Au regard de quoi, précisément ? Fort de vos années de “pratique”, qu’observez-vous?
Jean-Luc Mesnard
J’ai rejoint le groupe Lamotte il y a un peu plus de dix ans. Mon parcours a toujours été centré sur l’aménagement : d’abord en bureau d’études, puis exclusivement chez des aménageurs; je ne fais pas de promotion immobilière. Aujourd’hui, je dirige la branche aménagement du groupe Lamotte.
Parallèlement à cela, je suis président de la chambre bretonne de l’UNAM, ce qui me donne un recul utile : je fréquente et échange beaucoup avec d’autres acteurs du secteur, je vois différentes approches et histoires d’entreprises, ce qui enrichit ma vision et nous aide à partager des bonnes pratiques.
Alors, comment ont évolué les lotissements ces dernières décennies ? Je précise ici que ce projet a été réalisé en co-aménagement avec nos collègues du groupe ARC : nous avons créé une structure commune et mené, ensemble, quatre lotissements, ce qui nous a permis de traverser et d’expérimenter l’évolution des règles d’urbanisme au fil des dix dernières années.
Pendant longtemps le lotissement a été essentiellement monofonctionnel : du terrain à bâtir, point final. La conception était souvent très minimaliste :« la tablette de chocolat » : une voie et des lots de part et d’autre, une forme très répétitive. Bien sûr, certains opérateurs étaient plus précurseurs et certains marchés permettaient plus d’attention au paysagement (voies plus soignées, aménagements qualitatifs), mais globalement l’équation financière primait : ce qui n’est pas vendu pèse toujours en charge et on tend à réduire les espaces communs pour maximiser la rentabilité.
Aujourd’hui on commence à atteindre les limites de ce raisonnement.
Les documents d’urbanisme ont évolué (du POS au PLU) et, au fil des révisions, la densité a augmenté de façon continue : là où il y a vingt ans on faisait 10/15 logements, on conçoit désormais 25, 30, parfois 35 logements par hectare. Et sur certaines opérations récentes, on est plutôt autour de 40 logements, selon l’intégration ou non d’une zone humide renaturée. Autre époque : dans le passé, en zone rurale, on imposait parfois des minimums de lot (1 000 m², parfois 2 000 m²). Soyons honnêtes: c’était de la folie. Ces minimums ont été levés et les PLU traduisent désormais des objectifs de densité.
Il existe encore des variations fortes suivant les secteurs : certains territoires subissent une pression foncière plus forte ( le Morbihan est très recherché), d’autres moins... Onn s’adapte donc au marché pour vendre.
OIN
Vous avez également dû composer avec les grandes évolutions réglementaires et sociales qui ont pesé sur l’aménagement ...
JLM
Deux évolutions majeures se combinent : la densification (via l’évolution des PLU) et la mixité sociale incarnée par la loi SRU. La SRU qui, même si certains cherchent à la « détricoter », a marqué une étape importante en imposant des minima de logements sociaux dans les programmes. Selon les communes et leurs stratégies, ces minima varient : dans certaines petites communes on voit encore 10 %, ailleurs le cumul accession aidée + locatif social peut représenter jusqu’à 60 % du programme.
Cette exigence change profondément l’équation financière : le logement social est souvent réalisé par des bailleurs ou opérateurs spécialisés, avec des prix d’acquisition très différents ; la péréquation consiste à faire financer une partie du programme par les lots libres, ce qui peut générer des effets perçus comme injustes : les gens ne comprennent pas qu’ils achètent parfois quatre fois plus cher un terrain alors que le voisin en accession aidée bénéficie d’un prix beaucoup plus bas. Cela tient aussi au fait que les surfaces et configurations diffèrent : on joue sur la taille des lots, sur les produits. Il n’en demeure pas moins vrai que dans certains secteurs prisés la péréquation peut aller très loin et devenir... gênante pour les acquéreurs.
Ceci étant dit, il reste encore quelques communes sans obligation de logement social - j’en vois lors de montées de dossiers- mais c’est l’exception ; la tendance générale est bien à une forte intégration de la dimension sociale.
OIN
Vous confirmez aussi qu’en 2025, plus que jamais les aménageurs travaillent plus en amont avec les élus et les partenaires ? Que c’est même “vital” pour voir un bon projet bien aboutir ?
JLM
Oui, radicalement . Il y a peut-être eu un temps où l’on déposait un permis et où l’on disait « c’est comme ça », mais le cadre règlementaire (PLU, OAP pour Orientations d’Aménagement et de Programmation) n’est plus une page blanche. Les OAP donnent des directives assez formulées et le PLU encadre beaucoup d’éléments.
L’OAP n’est pas opposable à la différence du règlement, donc il y a une marge de discussion, mais en pratique on va beaucoup plus en amont rencontrer les maires et les élus pour expliquer les projets, lever les incompréhensions, et éviter de perdre du temps pendant l’instruction.
Cela implique d’investir beaucoup plus en études amont : levés topographiques, repérage de zones humides, inventaires d’espèces protégées, diagnostics archéologiques… ces études deviennent systématiques et sont souvent des conditions suspensives d’achat : tant qu’on n’a pas levé ces inconnues (risque d’espèce protégée, découverte d’un site archéologique, etc.), on ne s’engage pas à acheter un terrain. C’est un coût et un temps supplémentaires, mais nécessaires et il y a eu une véritable professionnalisation sur ces items.
Le travail en amont, la pédagogie et l’échange permettent d’aplanir les difficultés et de limiter les remises en cause en cours d’instruction.
OIN
Et le ZAN ? Parlons-en : quelle est votre position alors qu’il tend à se ... détendre, non ?
JLM
Le ZAN (zéro artificialisation nette) est une idée qui a fait bouger les lignes. Il y a des cycles politiques, et les ambitions peuvent être ajustées, mais l’objectif général de limiter la consommation d’espace est pertinent : les chiffres montrent une artificialisation soutenue qu’il faut contenir.
Ceci dit, j’ai des réserves sur certaines approches politiques et rhétoriques : certaines prises de position, comme celles visant explicitement la maison individuelle (je pense à Mme Wargon, qui fut Ministre du logement, et à ses critiques très directes), me semblent parfois démagogiques et marquées d’un regard « parisien ». On vante la « ville verticale » comme s’il était évident que tout le monde basculerait là-dedans! Or, la demande familiale pour la maison persiste ; beaucoup de familles ne souhaitent ou ne peuvent pas vivre dans de très grands appartements en ville.
Pragmatiquement, les tailles de parcelles ont diminué (on parle désormais plutôt de parcelles autour de 350 m² dans certains contextes) et les formes doivent évoluer : on redivise, on repense les typologies, on mixe plus. Mais il faut garder en tête les aspirations sociales et familiales.
OIN
Dans ce contexte, le renouvellement urbain et la reconversion de friches vous semblent-ils une voie réaliste ?
JLM
Oui, c’est une voie majeure et, pour beaucoup, une véritable révolution : investir le renouvellement urbain plutôt que d’artificialiser encore des terres agricoles. Mais c’est souvent coûteux, et parfois très complexe quand il s’agit de friches industrielles polluées : on découvre des pollutions historiques liées à des activités successives depuis parfois le 19ᵉ siècle. La dépollution et la reconversion représentent des coûts importants.
On parle aussi de « gisements » à débloquer - friches commerciales, dents creuses, anciennes écoles, bureaux abandonnés - et certains projets de loi cherchent à faciliter ces conversions. La conversion bureau → habitat, par exemple, n’est pas toujours la panacée : elle peut être très coûteuse et inadaptée dans certains cas. Néanmoins, partout où c’est possible, le renouvellement urbain est privilégié et fait l’objet d’un bon repérage et d’une volonté politique et professionnelle.
OIN
Revenons sur ce lot et notamment la diversité de son offre, avec des maisons, des appartements. De quoi adresser différents publics, de l’actif qui s’engage dans un parcours résidentiel à un retraité qui achète pour ses vieux jours ? Et diversité rime-t-elle ici avec mixité ?
JLM
L’opération propose à la fois des maisons et des appartements, soit une mixité de formes. Ce n’est pas une mixité « totale » au sens où il n’y a pas de locatif social intégré à ce programme : ce choix a été acté avec l’assentiment de la commune parce que le quartier compte déjà une part significative de logements sociaux autour du rond-point de Kerbiquette (clinique, activités, quartier d’habitat social à proximité).
La dimension sociale est cependant présente via l’accession très aidée : l’opération intègre des dispositifs comme le BRS (bail réel solidaire) - une première dans le Morbihan pour ce type d’opération-, ce qui constitue une vraie innovation locale. Ainsi, même sans locatif social, il y a une diversité sociale portée par des formules d’accession aidée.
L’idée générale était de proposer une offre diversifiée pour répondre à différents types de clients : ceux qui veulent du clé-en-main, ceux qui achètent un terrain pour faire leur maison, et ceux qui cherchent une formule intermédiaire « terrain + maison ».
OIN
Pouvez-vous préciser les formules proposées (clé en main, terrain + maison, terrains libres) ?
JLM
Nous proposons ainsi:
des maisons « clé en main », par le biais de promoteurs/constructeurs : pour les acquéreurs qui ne souhaitent pas se préoccuper de la maîtrise d’œuvre, avec la possibilité de modifier légèrement le plan
des offres « terrain + maison » (lots non libres de constructeur) : ce sont des lots où des modèles de maison sont proposés par des professionnels. Ce n’est pas tout à fait du « clé en main » ; ce ne sont pas les mêmes règles qu’un particulier qui construit pour lui-même), mais ce dispositif permet à des ménages qui veulent investir progressivement d’acheter un terrain et d’adapter ou compléter la maison dans le temps (finitions intérieures, aménagement du jardin...)
des terrains libres pour ceux qui veulent piloter entièrement leur projet.
Le « terrain + maison » a l’intérêt, pour la collectivité comme pour le lotissement, d’apporter une cohérence architecturale (une séquence de 10 lots « plus maison » avec des modèles de base présents sur plusieurs lots donne une unité d’ensemble). Sur ce projet, nous avons sélectionné deux constructeurs différents, ce qui laisse une certaine diversité tout en conservant une cohérence.
Sur la fiscalité : il existe des différences liées au statut du maître d’ouvrage (professionnel vs particulier). Cela a des conséquences pratiques et financières qu’il faut expliquer aux acquéreurs : : pas de recours à un architecte, pas d'assurance dommage ouvrage, etc.
OIN
Quelles tailles de logements et quels profils d’acquéreurs visez-vous ?
JLM
Les typologies sont variées : on trouve des petites maisons de l’ordre de 70 m² pour des primo-accédants ou des ménages plus mobiles, des maisons familiales plus classiques (autour de 85 m²) pour des couples avec un ou deux enfants, et des appartements pensés pour des parcours résidentiels (T2 pour démarrer, évolution ensuite).
Les appartements sont aussi destinés à répondre à des situations comme la décohabitation, une séparation, des retraités ou veufs qui cherchent un logement plus adapté. Il y a donc un spectre d’offres : du petit produit accessible jusqu’à des terrains pour des projets plus ambitieux : certains acquéreurs, en fin de carrière, achètent des terrains plus spacieux pour faire un beau projet.
Globalement, l’objectif est d’adresser différents types de clients : ceux qui ne veulent pas “se prendre la tête et achètent clé en main ; ceux qui acceptent d’investir un peu de temps pour finir eux-mêmes une partie du projet ; et ceux qui souhaitent une maison plus personnalisée.
OIN
Cette récompense obtenue vient distinguer “le savoir-faire Lamotte en matière de restauration des continuités écologiques, de réintroduction du vivant en ville et de gestion de l’eau”. Quel traitement environnemental avez-vous réservé (zone humide, espaces communs) ?
JLM
Nous avons intégré une grande zone humide renaturée dans l’une des opérations. Là où, auparavant, on aurait pu considérer cette zone comme une contrainte ou un terrain moins valorisé (plutôt cultivé en maïs), nous l’avons transformée en espace d’usage public : cet espace appartient à l’association des colotis - il n’est pas privatisé par une seule personne - et il constitue une respiration, une qualité paysagère qui compense la densité des parcelles bâties.
Sur des opérations antérieures, il y avait de petits bouts de zones humides situés en fond de parcelle, avec des prescriptions parfois légères (pas d’abri de jardin, pas de terrasse), mais aujourd’hui la mise en valeur et la protection sont beaucoup plus affirmées. L’idée est d’offrir des grandes respirations dans le tissu, plutôt que de multiplier uniquement de petits lots équivalents. Cela donne aux habitants une vue plus ouverte, du recul, et améliore la qualité de vie.
OIN
Et le pari a été relevé avec talent, semble-t-il...
JLM
Oui, l’opération a été saluée par un trophée « Nature en ville ». Ce prix confirme que l’option que nous avons prise (préserver et valoriser la zone humide, transformer une contrainte en atout) était la bonne. Ce n’était pas une forêt urbaine dans un tissu dense existant, mais dans un nouveau quartier nous avons réussi à préserver un élément naturel et à en faire une qualité différenciante. Aujourd’hui même des moutons y paisent !
Au départ, l’idée d’acheter un terrain et de découvrir une zone humide est déplaisante pour un aménageur, mais à force de réflexion et sous la pression des lois environnementales, il faut évoluer : soit avancer dans ce sens, soit changer de métier.
Au global, le programme est également composé de la résidence Koadig avec 42 logements en BRS (Bail Réel Solidaire), les premiers livrés dans le Morbihan, et de 20 terrains à bâtir à prix abordable. Ils montrent la volonté des aménageurs de réaliser un projet accessible à tous les budgets. Par la mixité de ses logements proposés, Vannes Village permet ainsi à un public jeune et familial de venir habiter à Vannes.